Mer de Chine – l’île de Hainan

Il nous faudra plus de 12 heures pour rejoindre Sanya au sud de l’île de Hainan depuis Beihai. On débarque au Summer Tree Inn extenués, mais des embruns plein les narines. On y restera 10 jours, contents de ce petit hôtel tenu par un jeune couple adorable, où tout est à disposition, notamment grande terrace sur le toit avec coin lessive, cuisine et balançoires. On évitera aussi le tourisme de masse russe qui pullule à Sanya ( vols directs Moscou-Sanya), excepté la crème des touristes russes personnifiée par Katchucha.

Notre rythme a changé, on a plus envie de faire, de voir, 3 jours par-ci, 3 jours par-là. On ne fera littéralement rien du tout, à part un peu d’école, beaucoup de lecture dans notre chambre capitonnée de velours vert, et la visite des plages. Deux plages rythment notre quotidien, celle paradisiaque de l’hôtel Intercontinental, à 10 minutes en minibus, et celle plus animée de Dagonghai, à 10 minutes à pied. Les plages sont belles, sable blanc, mer bleue-turquoise, petits bateaux de pêcheurs…on pense à Tove dans le froid et la pénombre suédoise et on se dit qu’on a bien de la chance en ce début décembre. L’arrière-plan des plages laisse plus à désirer, à la chinoise, énormes tours qui touchent les nuages, grands ports, casinos, centres commerciaux, sites de constructions à n’en plus finir…le tout lié par une multitude de ponts, tunnels, ceintures d’autoroutes…On s’attendait à Benidorm en plus grand, c’est Miami et Gammarth à la puissance 10. Hormis plages et lectures, le marché de poisson et fruits de mer rythme nos soirées. Un concept génial, qui allie un marché de poissons et crustacés frais – dans des grands aquariums- légumes et fruits, et des restaurateurs, sous un même hangar. Le client achète son poisson qui gigote encore dans le sac en plastique – on n’a pas réussi, on s’est contentés de coquillages et crevettes qui ne gigotent pas trop- et les restaurateurs proposent un prix pour servir le tout. Une ambiance folle, bière et vin qui coulent à flots, fraicheur garantie…

Autre point culminant de nos soirées : ballade sur la plage de Dagonghai, où, de 14 à 24h, pullulent les bloggeurs (ou tic-toqueurs me disent les juniors) hystériques ou potiches, qui hurlent devant leur mobile pour des raisons qui nous échappent, font des facies simiesques ou de princesses en sucre, souvent accompagnés de staff et fans qui attendent de pouvoir apparaitre l’espace de quelques secondes sur l’écran Apple adulé de tous…surréaliste, effrayant…ça a l’avantage au moins de court-circuiter Fox News et autres monopoles médiatiques.

L’île de Hainan recèle bien des trésors : excursions dans la jungle, temples, sources d’eau chaude, rizières en terrasses et des villages Yi, Li, etc…on se contente d’explorer la côte orientale connue pour ses vagues et prisée des surfeurs. Une excursion dans le village de pêcheurs de Houhai nous emballe, on planifie d’y passer quelques jours et on visite quasi la totalité des hostel afin de dégoter la perle rare, sur la plage, charmant et dans notre budget. Sa baie est magnifique, sur fond de collines et palmiers, l’écume et les surfeurs sont au rendez-vous. On se précipite dans les vagues. L’horreur, l’eau turquoise est jonchée de sacs en plastique, la même sensation que de nager au milieu des méduses. Expérience désolante, d’une tristesse à pleurer. Ça n’est ni sale, ni odorant, et pourtant tellement rebutant que je sors immédiatement de l’eau. On remplit vraiment les océans de sacs en plastique, je connaissais les statistiques, mais expérimenter la réalité est effroyable. J’ai connu bien des plages sales, avec des détritus plus immondes que des sacs en plastique, mais la sensation de ces plastiques partout autour des jambes, des bras est répugnante. On nous dira que ces détritus sont dus au dernier typhon maintenant sur le Vietnam. Difficile à croire si les plages à quelques km sont propres. Le business du village est le surf, les surfeurs semblent ne pas s’en soucier avec leurs combinaisons. Sans doute ces poubelles viennent du large autant que de la côte, la faute aux hommes qui consomment ces sacs, notre faute, et la réalité nous rattrape, nous nageons dans une mer de sacs en pastique.

Nous quittons Sanya en train rapide pour Haikou, la capitale de l’île, au nord. Nous y passons 2 nuits afin de découvrir la ville qui offre quelques rues rénovées d’une vieille ville similaire à celle de Beihai, style la Havane. La ville est énorme, sans doute charmante pour qui sait s’y attarder, mais il fait froid et on a envie d’aller voir plus loin. On admire les kite surfeurs, on se ballade à la recherche des spécialités culinaires, et on quitte Haikou en train plan-plan (ils appellent ça les trains à sièges durs, les vieux modèles, ni rapides ni très confortables). Le voyage jusqu’à Guandzhou dure 6 heures, dont 4 heures pour faire la traversée sur le continent, car il faut faire entrer le train dans le ferry! Wagon par wagon! Et remonter le train en entier une fois les wagons débarqués du ferry! On est dans le pays qui a coulé plus de béton de 2011 à 2013 que les US durant le 20ème siècle, mais il y a un ferry ferroviaire plutôt qu’un pont entre Haikou et le continent ( moins de 20 km)! Ils sont fous ces Chinois!

P.S. J’écris ces lignes le lendemain des élections générales en UK. Je me rends compte que, malgré un désir sincère et empathique de comprendre les peurs et aspirations des électeurs britanniques, je n’y comprends rien. Les sondages pré- électoraux montraient clairement que, aux questions « qui est le plus proche de vous ? », et « en qui avez-vous le plus confiance ? » les Britanniques choisissent J.Corbyn. Mais à la question « qui est le meilleur premier ministre » ils choisissent B.Johnson… « They want the patronage of the powerful, not to challenge their power » (L.Pagarani).
Dans la même veine, je ne comprends toujours pas comment mes compatriotes suisses, et valaisans, ont pu voter contre le 1:12, le salaire de base, contre plus de vacances payées… « Ils veulent la soumission à l’élite, ils ne veulent pas remettre en question le pouvoir de l’élite ». Et pourtant cette élite, et ceux qu’elle représente, est si décadente et inhumaine, des deux côtes de la Manche…Comment pouvons-nous systématiquement voter contre nos propres intérêts ? Par peur de perdre ce qu’on est déjà en train de perdre? Par idéologie mythologique d’être un jour, nous-mêmes, l’élite? Et pourtant aujourd’hui on sait tous que le système est structurellement organisé pour permettre à une élite de 1% de vivre aux dépends de la masse de 99% ? Leçon d’humilité pour moi. Toutes les théories, livres, arguments, raisonnements, statistiques ne peuvent expliquer l’autre quand on est déconnecté de l’autre, de l’expérience humaine, soit-elle suisse, britannique ou chinoise, déconnectée de soi-même.

 

 

 

Haikou