Vallée de Shaxi

De Lijiang nous partons un jour après les Crettaz-Corredor pour la vallée bai de Shaxi, et son village de Sideng. Nous avons besoin de nous poser et de ne rien faire, Shaxi figure à peine sur nos guides comme une bourgade tranquille le long d’une rivière tranquille, l’opportunité d’expérimenter la vie comme un long fleuve tranquille. En plus il faut changer de bus 2 fois au milieu de nulle part pour y arriver, dans des vallées glaciaires entourées de montagnes mi-boisées, mi-arides qui culminent à 3000m, l’idéal pour décourager le tourisme de masse chinois.

Nous arrivons dans un petit paradis baigné de soleil, où l’on entend (quasi) que les oiseaux et la rivière chanter. Rues pavées à l’ancienne, bâtiments bas en vieux bois et vieilles pierres, petites rigoles taillées dans la pierre, tout est charmant, rupestre, et il n’y a personne dans les rues, à part quelques touristes artistes fans de photo ou de rando à vélo. Notre nid sera digne de l’environnement, une grande chambre pour 4, avec petit coin sofa, aux couleurs tendres, tentures et vieilles poutre de bois sous la charpente. Et un balcon au soleil qui surplombe la rivière. L’établissement n’est géré que par des femmes, et l’ambiance s’en ressent: petit coin lecture, sofas extérieurs, fleurs sur les tablettes de fenêtres qui encadrent une vue carte postale sur la rivière, des arbres dans plusieurs patios “qui ne servent à rien”, avec étangs et poissons rouges, tentures extérieures qui ondulent dans la brise, tapis, coins déjeuner, coin snacks, coin thé et biscuits…une matrice douce et chaude dans laquelle il fait bon se rouler en boule, une tasse de thé dans une main, un livre dans l’autre. Et c’est ce que nous feront durant 4 jours, en plus d’une longue ballade à vélo aux chutes du dragon, une ballade le long de la rivière et des villages environnants. Notre Inn est un havre de féminité chaleureux, beau et généreux, qui offre lessive, vélos et snacks a gogo, avec en prime une petite boutique à l’entrée où tout est beau, à l’intérieur et à l’extérieur.

La vallée de Shaxi est une vallée glacière qui s’étend nord-sud entre deux chaînes de montagnes, fermée au nord par un détroit rocheux où seul la rivière passe…(Valais, gravé dans mon ❤ ). Le village de Sideng est au centre de la vallée, et fut choisi comme marché principal, afin de satisfaire les egos exacerbés des uns et des autres, car personne ne voulait se déplacer plus que l’autre pour se rendre au marché (Valais, gravé dans mon ❤). Autour de la place du marché un petit théâtre (centre du savoir administratif impérial) et un temple qui mélange toutes les croyances de la contrée, le tout mêlé dans une sauce bouddhiste. Centre névralgique des échanges entre l’empire et le Tibet, chevaux tibétains contre thé han (les Tibétains disaient, et disent toujours apparemment, mieux vaut 3 jours sans nourriture qu’un jour sans thé), la place du marché accueillait en permanence les caravanes est-ouest et prospéra pendant plusieurs siècles, jusqu’à ce que les échanges tombent en désuétude.

Cette petite ville offre, à qui sait prendre le temps de se poser et de sentir (et on aura un peu failli à celà, poussés par un désir irrépressible d’aller vers le sud et le chaud), l’opportunité de vivre hors du temps, où se mélangent les besoins du présent et les échos du passé. Témoin de cette porte ouverte sur le temps, l’arbre tricentenaire de la place du marché, qui lie le temple au théâtre, le spirituel au temporel. Même sensation que la place de Pyrgos à Tinos, où le temps s’arrête par la présence d’un seul arbre.

Le projet de régénération de la vallée de Shaxi semble, du point de la vue, une réussite : belles rénovations à l’ancienne d’apparence, enseignes bilingues chinois-anglais sur vieux bois, de même que les panneaux explicatifs, joli livre illustré. En y regardant de plus près, le projet comprend 5 modules chronologiques. Il semble que les 2 premiers modules aient été exécutés, nous n’avons vu aucune traces des phases suivantes. Surprenant ? Plutôt rassurant, car comment peut-on encore croire aux stratégies de réduction de la pauvreté par la microfinance, procédé malhonnête de quelques ahuris de Planète 21 qui extorquent à une population d’artisans des taux d’intérêts macros (entre 20 et 25%) sur des crédits micros (assez pour acheter une machine à coudre). Quel investissement peut offrir un tel rendement ? Comment peut-on encore promouvoir une telle pratique criminelle aux échecs cuisants à travers le monde, si ce n’est par idéologie aveugle ?
Heureusement il n’y a pas trop de souci à se faire avec l’Etat chinois. J’imagine qu’il a le pouvoir de sortir d’un projet déluré quand bon lui semble et de laisser en plan les bailleurs de fonds qui lui courront après de toutes façons puisqu’ils sont demandeurs de relations économiques. Quant à l’assistance technique de l’ETH dans la rénovation de bâtiments historiques chinois, les maıtres maçons du Shaxi le font depuis 1000ans, les vestiges sont là pour témoigner de leur art. Bien-sûr la collaboration entre techniques de pointe et savoir ancestral est intéressante, lorsqu’elle est reconnue avec humilité des deux côtés, et sans prise en otage de cette collaboration avec des conditionnalités idéologiques comme le microcrédit. L’arrogance occidentale n’a donc aucune limite ? Ni l’ego surdimensionné de l’ETH?
Qui plus est, lorsqu’on lit le module 3, Sustainable Valley Development (Développement soutenable de la vallée), l’aberration saute aux yeux. Pourquoi prétendre faire en Chine ce que l’on est incapable de faire à la maison ? « Balayer devant sa porte » dit le vieux dicton…parce que c’est plus facile de faire chez l’autre ce que l’on arrive pas à faire chez soi…Valais, gravé dans mon ❤… parce que c’est plus facile de laisser carte blanche à Christian et ses supermarchés verrues dans la vallée du Rhône plutôt que mobiliser les siens afin de protéger son patrimoine ? La faute à la souveraineté cantonale? parce que la Chine n’est pas souveraine ? à quand l’agence de développement et coopération suisse pour les cantons suisses ?

Le nord du Yunnan

Après deux nuits dans notre base de Kunming, encore sous le charme de la Moonlight dance, nous retrouvons les Crettaz-Corredor (les CC) à la gare, qui échappent à la pollution et humidité de New Dehli. Un peu abîmés physiquement, ils ont l’air d’avoir un bon moral, large sourire, amoureux comme au premier jour (une constante !), flanqués de leurs deux magnifiques filles qui poussent plus vite que le bambou. Destination Dali au bord du lac Erhai, une grande bourgade moderne perchée à près de 2000m d’altitude, mais qui a su restaurer son ancien bourg médiéval: maisons basses en pierre et bois, avec des relents de vieux raccards, rues pavées, entrelacées, vieilles portes aux 4 points cardinaux avec un semblant de mur d’enceinte. On dirait un peu l’arc lémanique? Avec quelques sommets enneigés de la chaîne des Cangshan en contre fond? Oui, mais à échelle chinoise, en beaucoup plus grand. Le vieux Dali est un fouillis de boutiques et restos, à la Pingyao, mais plus alpestre, où l’on retrouve tout le bazar habituel, et quelques restos occidentaux, témoins de l’attrait de cette ville aux contreforts de l’Himalaya pour les trekkeurs et routards en tous genres. S’il y a un sommet il faut le gravir, un fond il faut y plonger, une rivière à traverser il faut rafter, une tyrolienne il faut s’y tyrolier…c’est le yang qui domine, l’action, le faire, l’avant. Toujours plus haut, plus vite, plus que les autres et plus que soi-même, insatisfaction permanente malgré l’exhilarité de l’exploit. La Chine est grande, il y a toujours plus à faire et plus beau à voir. Nous sommes fatigués, à cause de l’altitude ? Des 2 mois de déplacements ? Ou des 47 ans révolus? Ou d’un peu tout. La dimension yang de ce genre de voyage nous pèse, la tension entre consommer ou ressentir, aller vers un but ou flâner, faire ou laisser faire, avoir ou être. Ursula en est pour quelque chose sans doute, comment être dans le yin dans un monde ou le yang domine ?

Dans la dimension être et ressentir on se fera quelques bons restos (merci les CC!), et bons petits déjeûners au Fly me to the Moon…une certaine saturation de cuisine chinoise se fait sentir chez les Lindo-Nicolet. Une belle ballade aux 3 pagodes, vieilles de plus de 1000 ans et qui auraient du sismiquement tomber depuis belle lurette, au milieu d’un parc fait pour le tourisme de masse, avec temples sans âmes mais une belle nature d’automne. Et une escapade au village de Xizhou, refait pour les touristes bobos, facile et charmant mais un peu parc d’attraction quand même. Un bijou: la demeure d’un ancien marchand de chevaux et caravanier, Monsieur Ian, un mélange de chalet bernois aux vérandas vitrées, bois peints et sculptés, plafonds bas, et de vieux raccard élégant sur pilotis, larges poutres, sol en pierre. Les enfants jouent, peu importe le temple, la pagode, l’hôtel, le temps, le pays…

Le troisième jour à Dali, nous partons tous pour Lijiang en bus, à travers collines frôlant les 2400m. Le centre ville, soit la vieille ville, est piéton, exceptés les quelques véhicules et scooter électriques autorisés. Nous voilà à Saas Fee, ou Zermatt: rues tortueuses pavées, maison basses en bois, sur pilotis et pierre (les raccards), et l’eau, considérée sacrée pour les Naxi, qui dévale les pentes de la ville en dizaines de petits bisses alpestres. Décidément, est-ce le moment de rentrer au bercail?
La ville est faite (ou a été refaite) pour le tourisme bourgeois, bourgeois-sportif. Chaque coin de rue est plus beau que l’autre, chaque pont plus romantique, chaque bassin plus charmant, chaque rigole plus bucolique. Mis à part la place du marché et les rues adjacentes de bars, tout est mignon, rupestre, charmeur, vaut le cliché…un Saasi world en plus beau, plus classe, et sans les Saasi, que demander de plus?! Les coins routards-montagnards pullulent aussi, avec bouffe occidentale (burgers, pizza, ribs, et vin local imbuvable), et propositions d’excursions plus haut (le fameux village de Shangri-La, une pure invention romanesque), plus froid (le Tibet, comment allier l’exploit sportive à l’aventure spirituelle, le tout dans le même pack), plus performant, plus trek. Les hauts sommets, la montagne du Dragon de Jade, culminent à 5596m. Ca fait envie, d’aller sur le toit du monde, mais on est les 8 fatigués, les uns du boulot-dodo, les autres…du non boulot-dodo?…un mystère. On se fera une belle ballade à vélo jusqu’à Baisha, un petit village à 10 km de Lijiang qui garde son caractère rupestre et tranquille. Immanquablement nous nous délectons de quelques séances de shopping avec nos teenages de filles (et garçon, qui passe pour une fille à chaque fois, pratique dans les WC publics!), et de quelques bons restos bienvenus.

Notre hôtel, tenu par des teenagers charmants et attentionnés, est tout confort: moquettes pas très nettes mais adaptées au climat, balcons couverts avec sofas au soleil, grands lits ronds en velours rouge et voiles roses pour les adultes, et grands lits doubles avec sofas et baignoires rondes pour les enfants. Le deuxième jours, alors que les CC adultes font une escapade matinale pour aller (re)voir le sorcier du coin, nous nous prélassons au soleil dans notre lit digne de Rocco, et sur les balcons: vision magique, derrière les voiles roses des baies vitrées de notre chambre lune de miel, les toits Han relevés aux extrémités tels des queues de dragons, et les montagnes du toit du monde qui se détachent sur le ciel bleu…

Les retrouvailles se clôturent par le traditionnel spectacle: l’histoire potteresque, ou pullmanesque, de 4 enfants qui voyagent entre les 2 mondes, et de leur maître Shangi. Prochain épisode annoncé pour Nöel: la vieille chèvre…on est impatients! Aprės nous avoir allégés de quelques kilos (merci!), les CC nous quittent vers 20h pour Kunming, retour à Dehli l’infernale le lendemain. Le moral au fond des souliers, on arpente les rues de Lijiang seuls, dans l’espoir de se divertir, de s’en mettre plein la vue au milieu de la foule (on ne se sent jamais longtemps seul dans ce pays…) Et ca marche, quelques Nihāo et sourires, et nous voilà choyés du regard par les milliers de visiteurs intrigués et bienveillants, qui regardent Aram et Shems avec curiosité…qui est la fille? y a-t-il un garçon qui se cache sous cette touffe de cheveux longs…? On retrouve même le couple de Hong-Kong rencontré dans notre hôtel favori de Jinghong! ”Je n’ai plus personne, je n’ai plus rien à faire” sera quand même le motto des deux cette soirée, après le départ de Chloé et Paola. Dur dur d’être coincés avec ses deux vieux parents, exilés sur le toit du monde, alors que le centre est à Charrat…