Le Pull

PRÉAMBULE
La kinésiologie tend à reconnecter le vivant au vivant, en mettant en lumière (conscience) les idéologies (systèmes de croyance) qui nous dominent. La kinésiologie met comme point de départ non pas la pensée mentale mais le ressenti du corps, générateur d’émotions, pour, en dernière étape, permettre de faire des liens justes pour soi et structurer, avec le mental, une pensée incarnée. La kinésiologie reconnaît la trinité corps-cœur-mental pour l’unifier en un tout cohérent, à la base du vivant. Bien-sûr on peut vivre de manière avortée (aliénée), soit sous la dominance de son mental, ou de son corps, ou de son cœur. La kinésiologie nous fait ressentir à quel point cela est du domaine de la survie, pas du vivant.
Que me dit la kinésiologie, en tant que thérapie psycho-corporelle et thérapie de développement personnel, sur les évènements extérieurs de ma vie et du/de mon monde ?

 

J’ai écrit ce texte lors d’un cours de tricot de pull islandais à l’Uni pop avec ma fille. Désireuse de partager des moments de création avec mon ado magnifique et féroce, et férue de crochet et fils en tous genres, je me suis laissé porter par sa passion, consciente de mon aversion passée pour le tricot. Que ne ferait pas une mère en déshérence face à l’éloignement de son ouaille dans le monde virtuel des écrans, pour la ramener à la vie, à la matière ici et maintenant ? Car seul l’exercice de notre pouvoir de création, soit de transformation de la matière ici et maintenant, nous distingue de l’état animal. What else ? Notre intelligence ? Notre conscience ? Peut-être, mais dans ce cas, j’ai mes doutes sur qui est le maître et qui est le disciple entre l’homme et l’animal.
Nous avons bien rigolé, à l’école des cancres, deux cigales entourées de fourmis assidues et bienveillantes.Portées par deux maîtres es tricot/jacquard, je me suis surprise à entortiller mes fils et mes aiguilles jusqu’à tard dans la nuit, les pieds perchés sur mon escarbot décoré au point de croix, à tel point que ces mêmes fils et aiguilles sont venus s’immiscer dans mes rêves…jusqu’à colorer ma vision du monde, de mon monde.

 

 

Le Pull

184 mailles montées en l’espace de 2 jours. 30 minutes de montage, 1.5 jour de calcul et recalcul du nombre de mailles. Puis une série à l’endroit, facile, même si…est-ce une maille ou un fil apparu de nulle part ? après quelques rangs, me voilà avec 187 mailles…auto-générées, des mailles mutantes à l’existence innée, une nouvelle dimension ? j’élimine les mutantes et me remets à l’ouvrage, de la base vers le haut, j’entame les côtes. Une fois initiée par un maître, je ne suis plus que cet entrelacs de boucles à l’envers, à l’endroit…trou noir de fils torsadés duquel émerge la côte parfaite. L’initiation s’avère un sacerdoce, j’en rajoute un rang par pur plaisir, et par peur de perdre ce savoir des mains fraîchement acquis et aux relents mystiques. Puis vient le jacquard, le changement de couleur, les décomptes des petits carrés sur le patron qui se matérialisent entre mes doigts en un tout harmonieux qui me sourit et m’invite à encore plus de plaisir. Transformer la matière avec mes doigts, c’est cela créer, c’est cela dépasser le statut animal. Je crée donc je suis, la révélation m’humanise et me rapproche du divin, alléluia !

Je maîtrise les fils, les aiguilles, la laine, ses odeurs, le mouton, les collines vertes d’Islande, ses eaux souterraines qui permettent au vert de surgir du bleu et du jaune de l’eau et du soleil… Je suis la création, fœtus de fibres animales qui bêlent dans mes oreilles en extase. Je suis le créateur, maître des éléments et disciple attentionné de l’art de créer avec de la laine. Rimbaud a-t ’il essayé le tricot ? Que de souffrance et de vicissitudes épargnées au jeune écrivain si seulement il avait osé troquer sa plume contre des aiguilles rondes.

J’avance dans mon ouvrage en bon pèlerin. J’entame le corps du pull d’un vert printemps moucheté. Dans l’ivresse du progrès, mes petits V se superposent docilement en des colonnes babyloniennes, rien ne semble pouvoir m’arrêter. Mon ascension vers les hauteurs du jacquard supérieur est inéluctable. Et voilà qu’une de mes mailles apparaît plusieurs rangs en dessous de mon ascension, puis une autre, et une autre. Les colonnes de V se transforment en échelles aux barreaux nus. Je peine à remonter la première, puis la deuxième. Docilement, je les ramène toutes sur le sentier des hauteurs. Je les maintiens un temps, en colonnes bien serrées, sécurisées par la lenteur que je me suis imposée. Mon progrès s’en ressent, mais à de telles altitudes, la prudence est de mise. Quel est donc ce danger qui guette ? pourquoi craindre le dérochement soudain alors que l’ascension se déroulait sous les meilleures augures quelques rangs plus bas ? Et voilà que ça recommence ! des mailles errantes plusieurs rangs en dessous, qui appellent à l’aide sans pouvoir se mouvoir. En voilà une qui déroche sous mes yeux, rien que je ne puisse faire, impossible de lui tendre une aiguille de secours, la chute est trop rapide. Mon univers entier semble tourner : le ciel s’assombrit, des nuages sombres s’amoncellent à l’horizon, j’ai de la peine à distinguer les bons des mauvais fils dans cet entrelacs de boucles et sous si peu de lumière, mes yeux fatiguent. Cela précipite la dégringolade de nouvelles mailles mal sécurisées et qui entraînent dans leur chute un rang tout entier. Je n’y comprends plus rien, je ferme les yeux, je n’ose plus regarder mon ouvrage. Il est vrai que ce sont toujours les plus médiocres, tant au point de vue intellectuel que moral, qui se font réélire. Encore dimanche dernier on en a eu la preuve patente lors des élections au cirque fédéral. Comment, dans de telles conditions, l’ouvrage d’une vie pourrait-il tenir, aussi solide soit-il ? Les défaillances du système sont telles, les bases si limoneuses, qu’à y bien réfléchir, aucune création humaine ne peut s’y ancrer pour aboutir. Sur la seule base de l’argent, à quoi bon créer ? A quoi bon rester humain s’il est plus rentable d’être machine ? A quoi bon cultiver le beau sous le règne de la marchandise ? A quoi bon penser dans l’ère du calcul?

Ces pensées me donnent le courage de ré-ouvrir les yeux pour constater les dégâts du séisme. C’est la dégringolade. Les chute de mailles s’enchaînent à un rythme effréné, les tours de V se décharnent sous mes yeux. Le jacquard se transforme en squelette difforme. Mon ouvrage n’est plus qu’une toile d’araignée, maintenue en place par la rigidité de mes aiguilles bambou, la force de mes métacarpes, la synovie de mes poignets. Je résiste de toutes mes forces, mes articulations brûlent. Je perçois, plus de 30 rangs plus bas, la maille de mes amours de 20 ans, que j’avais tenté de récupérer au rang 45. Je me rends compte avec effroi que non seulement mon rattrapage à partir du rang 45 est hideux, mais qu’en plus les 15 rangs entre 30 et 45 sont vides, la gueule béante qui ne laisse apparaître que des fils rachitiques tels des amygdales malades. On ne rattrape pas un amour de jeunesse manqué en reprenant contact à 45 ans, c’est du rafistolage pour éviter l’évidence : le fil a été coupé, il pendouille et doit être rentré.

Je n’en peux plus. Mon cœur est brisé, ma respiration coupée, tout s’effondre sous mes yeux, au creux de mes main paralysées par l’incroyable spectacle d’une décadence annoncée. Il fallait s’y attendre, mon dernier tricot date de mes 12 ans après tout, à peu près lorsque les signes de la décadence occidentale n’offraient plus aucun doute. Apogée des Attalis en tous genres, deuxième mandat de Mitterrand, essor de Reagan, Thatcher-le-vampire dépeinte en madone, bébé Macron devait voir le jour…bref, rien à faire au niveau des derniers rangs, c’est tout l’édifice qui est fichu, bon pour la poubelle. Détruire pour ne pas mourir, je m’y résous, le cœur gros. La larme à l’œil, sur les conseils bienveillants de mon maître, je me résous à transpercer d’une aiguille droite et tranchante l’ouvrage de ma vie juste au-dessus du jacquard. J’embroche littéralement ces mailles malades et décharnées, amas informe de fils épars et déconnectés, perdus, afin de sauver ce qui peut encore l’être, les quelques valeurs en V des trente glorieuses, parmi lesquelles le sens de la décence commune et de l’humain subsistent encore. Et au feu les futures générations désenchantées de Mylène Farmer, il n’y a définitivement rien à en tirer. D’une main tremblante je commence le démontage des rangs malades, gangrenés pas une incompétence crasse. Les mailles hurlent leur droit à la vie, même si estropiées, difformes, éventrées. La bête immonde en moi me susurre à l’oreille qu’elles doivent être sacrifiées sur l’autel de la Beauté, peu importe l’effort et la douleur dans l’accomplissement de ma tâche. Mon cœur murmure à mon mental leurs plaintes de V-ierges sacrifiées, désireuses de semer le doute dans mon esprit de privilégiée blanche hétéro. Leur difformité n’est-ce pas tout simplement un trait de caractère singulier, voire charmant aux yeux de celles libérées des carcans conservateurs ? Je fais la sourde oreille, encouragée par mon maître es ouvrage, et je les décapite d’un geste vif du poignet. A mort les difformes, ne survivront dans mon ouvrage que les V parfaits, dociles et harmonieux.

Me voilà de retour au pied des remparts de l’ouvrage de ma vie, munie uniquement de mon aiguille ronde et de ma pelote islandaise verte prairie. La reconquête des hauteurs s’annonce épique, mais j’y crois encore et je me lance, le cœur gonflé, les yeux rivés sur les verts pâturages d’Islande qui se remettent à onduler entre mes doigts. J’ai 40 ans, nous sommes en 2012, la fin annoncée d’un monde. Plus un regard en arrière, je fais table rase et m’engage dans cette nouvelle ascension. C’est mon œuvre, c’est ma vie ; c’est mon choix, mon humanité.

Let your heart be broken – épilogue

PRÉAMBULE
La kinésiologie tend à reconnecter le vivant au vivant, en mettant en lumière (conscience) les idéologies (systèmes de croyance) qui nous dominent. La kinésiologie met comme point de départ non pas la pensée mentale mais le ressenti du corps, générateur d’émotions, pour, en dernière étape, permettre de faire des liens justes pour soi et structurer, avec le mental, une pensée incarnée. La kinésiologie reconnaît la trinité corps-cœur-mental pour l’unifier en un tout cohérent, à la base du vivant. Bien-sûr on peut vivre de manière avortée (aliénée), soit sous la dominance de son mental, ou de son corps, ou de son cœur. La kinésiologie nous fait ressentir à quel point cela est du domaine de la survie, pas du vivant.
Que me dit la kinésiologie, en tant que thérapie psycho-corporelle et thérapie de développement personnel, sur les évènements extérieurs de ma vie et du/de mon monde ?

 

Quand elle est partie je n’étais pas là, je me suis retenue d’entrer dans sa chambre, de m’imposer auprès d’elle une minute pour lui dire au-revoir, rendez-vous de l’autre côté quand ce sera mon tour. Je ne me sentais pas légitime, ma douleur n’était pas légitime en comparaison de la douleur de l’autre, plus haut que moi dans la hiérarchie de son cœur.

Quand ses cendres ont été remise à la terre je n’étais pas là, je n’ai pas pu lui dire au-revoir, rendez-vous de l’autre côté quand ce sera mon tour. My broken heart a pleuré, j’ai partagé ma douleur avec ceux qui sont au sommet de la hiérarchie de mon cœur. Ça semble juste, équitable, carré, à chacun sa hiérarchie, son château, son domaine.

Perdre un être au sommet de la hiérarchie de son cœur, c’est honorer la personne inconditionnellement, la ressentir dans son corps, de manière unique et magnifique. Mais quand cette personne-là part, avec elle partent toutes les autres elles, celles qui l’ont précédée, et qui, en leur temps, siégeaient au sommet de la hiérarchie du cœur d’un autre, voire de plusieurs autres. Ces autres « elles » de la poupée gigogne ont leur propre histoire, un fil qui n’en finit pas de grandir et de se développer, un entrelacs de connexions et de branchements affectueux à l’intérieur de tous ceux qui l’ont connue, et au-delà. Cette construction dépasse toutes les hiérarchies personnelles, famille nucleus, réseau d’amis, clan ou tribu. Ces connexions d’affect irradient de l’intérieur pour venir illuminer ou assombrir, souvent de manière inconsciente, la toile ontologique des relations humaines. C’est le lien avec ta plus petite poupée gigogne que je pleure encore aujourd’hui. J’étais connectée à cette figurine-là depuis toujours, et la connexion n’est plus, comme un morceau de moi arraché, un morceau de peau, du cœur…ma connexion avec un nœud brillant dans la toile ontologique des hommes que je ressens maintenant qu’elle n’est plus, et qui m’animait. Ça fait encore mal, une blessure toujours ouverte, qui suinte encore. Je ne peux qu’attendre qu’elle sèche au rythme de mon corps pour devenir ma cicatrice, une césure dans les branchements du vivant. Quelqu’un me disait très justement que, dans un deuil, on pleure toujours sur soi-même, sur sa propre perte. Je prends conscience, dans un éclair furtif de conscience, de faire partie du firmament du vivant en ressentant dans ma chair la déconnexion avec une de ses étoiles. Douloureux et exaltant à la fois. Paradoxale, la perte de la connexion au champs infini du vivant, qui me fait me sentir vivante.

A moi de soigner ce saignement entre mon cœur et le vivant, cet effondrement dans les fondations de la hiérarchie de mon cœur, la perte d’une de mes figurines. Avec patience et écoute, le processus invisible de la vie dans le temps qui passe cicatrisera mon cœur, ma peau, mon corps. Est-ce qu’elle aurait pu être partagée avec tous ceux qui souffrent aussi de la même extinction d’étoile ? chacun dans sa réalité mais ensemble ? peut-on simplement souffrir intérieurement sans être seul à l’extérieur ? Est-ce que la souffrance se partage, comme la joie et le bonheur ? Peut-on ressentir le bonheur pleinement sans le partager ? Juste à l’intérieur, sans le laisser irradier vers l’extérieur, en le mettant sous cloche ? Le plus beau après l’amour, n’est-ce pas d’en parler ? Au-delà du bien et du mal, du beau et du laid, du jugement de valeur ou du système de croyance, il n’y a aucune différence entre la douleur et le plaisir, la tristesse et la joie. Mise sous cloche, l’émotion étouffe, l’être qui la subit se coupe un peu plus du champ du vivant, et ce n’est qu’à force de diversions et dans la fuite, par des artifices chimiques ou virtuels que la douleur de la coupure est anesthésiée, l’émotion contenue, pour un moment, jusqu’au prochain shoot. Un jour les shoots ne suffisent plus, et l’émotion coupée du vivant devient insupportable, elle implose. Alors c’est à notre tour de quitter notre château, de dire au-revoir à l’autre, rendez-vous de l’autre côté quand ce sera ton tour.